Quantum bit (Ⅲ): de 1 à \(n\).
Produit tensoriel
On a vu qu'un qubit vivait dans un espace vectoriel complexe de dimension 2, dont on note la base \((\ket0, \ket1)\). Appelons \(E\) cet espace vectoriel. Maintenant, comment décrire l'état de 2 qubits ? On utilise pour ce faire le produit tensoriel de \(E\) par lui même, noté \(E\otimes E=E^{\otimes 2}\).
Il s'agit d'un espace vectoriel de dimension \(2\times2=4\), ayant pour base: \[ \begin{alignat*}{1} (\ket0\otimes\ket0&=\ket{00}, \\ \ket0\otimes\ket1&=\ket{01}, \\ \ket1\otimes\ket0&=\ket{10}, \\ \ket1\otimes\ket1&=\ket{11}) \\ \end{alignat*} \]
On utilise souvent des indices pour distinguer l'espace de chaque bit, par exemple on peut écrire\(\ket0_A\otimes\ket0_B\). Le symbole \(\otimes\) est souvent ommis: \(\ket0\ket0\)
On étend naturellement la définition du produit scalaire hermitien sur \(E\) à \(E^{\otimes 2}\) de la facon suivante: \[ \begin{alignat*}{1} (\bra{\varphi}_A\otimes\bra{\varphi'}_B)(\ket{\psi}_A\otimes\ket{\psi'}_B) &= \braket{\varphi}{\psi}\times \braket{\varphi'}{\psi'} \end{alignat*} \] C'est simplement le produit scalaire usuel dans \(\mathbb{C}^4\).
Le produit tensoriel \(\otimes\) se distribue sur \(+\); Si le premier qubit est dans l'état \(\ket{\psi}_A=\alpha\ket0+\beta\ket1\) et le second qubit est dans l'état \(\ket{\psi}_B=\gamma\ket0+\nu\ket1\), alors l'état conjoint du couple de qubit est \[ \begin{alignat*}{1} (\alpha\ket0+\beta\ket1)\otimes(\gamma\ket0+\nu\ket1) &= \alpha\gamma\ket0\otimes\ket0 + \alpha\nu\ket0\otimes\ket1 + \beta\gamma\ket1\otimes\ket0 + \beta\nu\ket1\ket1 \\ &= \alpha\gamma\ket{00} + \alpha\nu\ket{01} + \beta\gamma\ket{10} + \beta\nu\ket{11}\\ \end{alignat*} \]
Les notions précédentes s'étendent facilement pour décrire \(n\) qubits dans \(\underbrace{E\otimes E\otimes\dots\otimes E}_{n\text{ fois}}=E^{\otimes n}\). \(E^{\otimes n}\) est de dimension \(2^n\), et une base est: \[ \begin{alignat*}{1} (&\underbrace{\ket{00 \dots00}}_{n\text{ chiffres}}, \\ &\ket{00\dots 01}, \\ &\vdots \\ &\ket{11\dots 10}, \\ &\ket{11\dots 11}) \\ \end{alignat*} \] ou bien, si l'on identifie un entier avec son écriture binaire, \[ \begin{alignat*}{1} (&\ket{0}, \\ &\ket{1}, \\ &\vdots \\ &\ket{2^n-2}, \\ &\ket{2^n-1}) \\ \end{alignat*} \]
Entanglement
La où les choses deviennent intéressantes, c'est que n'importe quel élément de \(E^{\otimes 2}\) de norme 1, c'est à dire une combinaison linéaire quelconque des vecteurs de la base, est un état parfaitement valide; par exemple, considérons: \[ \ket{\phi^+} = \frac{1}{\sqrt{2}}(\ket{00} + \ket{11}) \]
Ce qui est remarquable dans cet état, c'est qu'il ne peut pas se factoriser en un produit de deux états: on ne peut pas écrire \[ \ket{\phi^+} = \ket{\psi}_A\otimes\ket{\psi}_B \] C'est un état pour le couple de qubits qu'on pourrait qualifier d'irréductible; Il n'existe pas de vecteur pour décrire le premier qubit, ou le second séparément de l'autre ( pour décrire l'état d'un qubit de cette paire, il nous faut le concept de mixed state—par opposition à pure state—que l'on verra par la suite). Ils sont intrinsèquement liés. C'est ce qu'on appelle l'intrication (entanglement), et c'est une caractéristique fondamentale du monde quantique. C'est cela qui permet d'obtenir une accélération exponentielle (exponential speedup) lors de l'éxécution d'algorithmes sur un ordinateur quantique, par rapport à un ordinateur classique.
\(\ket{\phi^+}\) est un des 4 Bell states, ou EPR pairs, d'après Einstein, Podolsky et Rosen qui les ont introduits dans leur article de 1935. Voici la liste complète: \[ \begin{alignat*}{1} \ket{\phi^+} = \frac{1}{\sqrt{2}}(\ket{00} + \ket{11}) \\ \ket{\phi^-} = \frac{1}{\sqrt{2}}(\ket{00} - \ket{11}) \\ \ket{\psi^+} = \frac{1}{\sqrt{2}}(\ket{01} + \ket{10}) \\ \ket{\psi^-} = \frac{1}{\sqrt{2}}(\ket{01} - \ket{10}) \end{alignat*} \] Ils forment une base orthonormale de \(E^{\otimes 2}\).
Opérateurs sur \(n\)-qubits
Si \(U,V\) sont deux endomorphismes unitaires de \(E\), on peut définir l'action de l'endomorphisme \(U\otimes V\) sur \(E^{\otimes 2}\) par \[ U\otimes V(\ket{\psi}_A\otimes\ket{\psi}_B) = U\ket{\psi}_A\otimes V\ket{\psi}_B \] \(U\otimes V\) est unitaire.
Si on identifie \(U\) et \(V\) avec leurs matrices respective dans la base \((\ket0,\ket1)\), la matrice de \(U\otimes V\) est le produit tensoriel des 2 matrices, qui est donné par blocs par:
Plus généralement, si la matrice \(U\) est carrée de taille \(m\), le produit tensoriel est donné par:
Mais réciproquemment, un opérateur sur 2 qubits n'est pas nécessairement le produit tensoriel de 2 opérateurs sur 1 qubit; pour être valide, il suffit qu'il soit unitaire. Considérer par exemple,
Cet opérateur échange les valeurs des qubits (swap). On ne peut pas décrire son action comme le résultat de deux opérateurs qui s'appliqueraient respectivement sur chacun des qubit, indépendamment l'un de l'autre .
Voici quelques exemples d'opérateur basiques sur 2 et 3 qubits. Les opérateurs de type controlled \(U\) appliquent l'opérateur \(U\) sur le qubit cible ssi le qubit de contrôle est à 1.
Nom | Circuit | Matrice |
---|---|---|
Controlled Not | \( \begin{bmatrix} 1 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 1 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 1 \\ 0 & 0 & 1 & 0 \\ \end{bmatrix} \) | |
Swap | \( \begin{bmatrix} 1 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 & 0 \\ 0 & 1 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 1 \\ \end{bmatrix} \) | |
Controlled Z | \( \begin{bmatrix} 1 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 1 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & -1 \\ \end{bmatrix} \) | |
Toffoli | \( \begin{bmatrix} 1 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 1 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0\\ 0 & 0 & 0 & 1 & 0 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 1 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 1 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 1 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 1 & 0 \\ \end{bmatrix} \) | |
Fredkin (controlled swap) | \( \begin{bmatrix} 1 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 1 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0\\ 0 & 0 & 0 & 1 & 0 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 1 & 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 1 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 1 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 0 & 1 \\ \end{bmatrix} \) |
Références
En attendant la suite de cette série, voici quelques ressources que je recommande vivement pour creuser ce sujet.
Le livre de référence sur le sujet Quantum computation:
M. A. Nielsen and I. L. Chuang,
Cambridge: Cambridge University Press, 2010.
Cours en ligne:
Par les sommités dans le domaine:
Prof. Isaac Chuang,
Prof. Peter Shor
MIT OpenCourseWare, Spring 2018.
Prof. Isaac Chuang,
Prof. Aram Harrow
MIT OpenCourseWare, Spring 2018.
Quantum cryptography:
Stephanie Wehner,
Thomas Vidick,
TU Delft OpenCourseWare, 2017.
Des cours sur la mécanique quantique plus généralement:
Prof. Barton Zwiebach,
MIT OpenCourseWare, Spring 2016.
Prof. Barton Zwiebach,
MIT OpenCourseWare, Fall 2013.